Romain Garrouste, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) – Sorbonne Universités
A l’occasion du projet de loi sur la biodiversité, qui vient d’être adoptée par le Parlement, revenons sur cette notion. On parle souvent de biodiversité de manière assez vague, abstraite, désincarnée. Or, dans le monde scientifique, elle porte un ensemble de significations, souvent précises et chargées de sens. Mais quelquefois décalée par rapport à sa compréhension par le grand public et les décideurs.
On parle de biodiversité, de biosphère, de paysages, d’écosystèmes, d’espèces, de populations, de biomasse, d’individus, de gènes, de molécules… Sans forcément bien replacer les enjeux de chacun de ces niveaux d’organisation du vivant. Le terme de biodiversité représenterait alors une sorte de somme arithmétique de ces différents niveaux au sein des systèmes écologiques.
C’est dans ce grand ensemble, une autre manière de nommer la Nature, que les insectes, qui représentent la plus grande fraction des organismes vivants jouent un rôle à la fois essentiel et ambigu, quelquefois petits anges et souvent micro-démons, la plupart du temps simplement ignorés (leur biodiversité est « silencieuse »). Cela, alors que leurs rôles sont majeurs.
A ce propos, exprimons une image forte : les insectes peuvent-ils sauver le monde ?
Car, si on y regarde de près, des solutions durables et pertinentes pourraient être trouvées dans les problèmes posés aux sociétés humaines, en observant notamment les insectes et en tentant de recréer les systèmes naturels où ils évoluent
Bio-inspiration
Il s’agit d’envisager un ensemble de solutions élégantes, logiques, et (bio) logiques basée sur une bio-inspiration : s’inspirer du vivant en se fondant sur les connaissances biologiques et écologiques. Cette démarche serait une prise en compte de la Nature, à travers les insectes. Or, la bio-inspiration manque encore cruellement dans les pays industrialisés et est le plus souvent absente dans les pays en voie de développement ou émergents. Ce serait pourtant la base d’une éthique de la Nature pour un développement soutenable au sens propre, vraiment soucieux des générations futures.
La bio-inspiration, c’est trouver des sources d’innovations utiles dans les solutions existantes dans la nature. On peut en faire sans le savoir. Ou bien s’engager dans une démarche volontaire en étudiant la nature pour en étudier les modèles possibles (faire un « screening » de la biodiversité dans des domaines variés) ou encore tenter de résoudre une question technique particulière en recherchant des modèles dans la nature. Ces démarches sont en train d’être conceptualisées et un champ disciplinaire est en pleine émergence.
Les insectes sont souvent au cœur de ces solutions élégantes car ce sont des modèles souvent pratiques à étudier, avec des solutions optimisées par l’évolution, exprimées dans des lignées dont les chercheurs comprennent aujourd’hui qu’elles sont de plus en plus anciennes. Cette ancienneté est à la fois avérée par les progrès de la systématique moléculaire, et corroborée par la découverte de fossiles de plus en plus anciens qui font de manière concomitante reculer l’origine des lignées. Ainsi l’origine des insectes serait à rechercher au Silurien soit plus de 420 millions d’années, et non plus au Dévonien ou Carbonifère.
L’intérêt de la recherche sur ces lignées anciennes est double : comprendre la mise en place de ce qui est devenu le cœur de notre biodiversité (nous vivons sur la planète des insectes) et trouver les modèles les plus simples à nos problèmes de bio-inspiration. L’idée est simple, basée sur le fait que les solutions anciennes seraient plus parcimonieuses (au sens d’économique) que les solutions les plus récentes. Mais ce schéma simple se doit de prendre en compte les multiples mécanismes évolutifs permettant des aller-retours (réversion) et des convergences (ressemblances sans parenté), qui complique quelque peu nos tentative de compréhension du vivant.
Détoxification des agro-écosystèmes
L’importance économique et sociétale des interférences des insectes avec l’alimentation humaine sont évidentes. Les monocultures, surtout les monocultures industrielles sont un non-sens écologique qui coûte cher à la société, même si les objectifs productivistes ont souvent été atteints.
Ce coût environnemental et sanitaire est en cours d’inventaire, il sera probablement énorme. On se disputera encore et encore sur les rapports coûts/bénéfices, souvent en minimisant l’évaluation des services écosystémiques. Quelle est la vraie valeur de la pollinisation ? De la dégradation de la matière organique dans les sols ? du simple fonctionnement des biocènoses parasitaires ? C’est bien un déficit de connaissance qui est à l’origine des conséquences des pratiques productivistes. Heureusement, le monde agricole est en train de redécouvrir le fonctionnement écologique des agro-écosystèmes comme la biologie des sols, le contrôle biologique des ravageurs; le monde forestier, l’écologie forestière; les particuliers les insectes bénéfiques dans leur jardin, et même le monde politique… La biodiversité.
Et la santé ?
Les insectes, vecteurs de pathogènes et d’allergies, peuvent parfois nuire. Les solutions les plus simples pour les combattre sont basées sur la lutte antivectorielle à base de pesticides, voire d’OGM. Mais une telle démarche méconnaît les systèmes écologiques où évoluent ces vecteurs, et souvent, la recherche se retrouve dans une impasse. Comme pour les agrosystèmes, ces choix sont responsables de déséquilibres écologiques et de conflits d’utilisations majeurs. Mais les choses évoluent, et la médecine redécouvre aujourd’hui l’environnement, et avec celui-ci, l’éco-pathologie vectorielle ou l’éco-épidémiologie où les insectes vecteurs sont au centre du système.
Nutrition humaine : manger les insectes ?
Les insectes vont-ils suppléer aux problèmes de l’alimentation humaine dans les décennies à venir ? Il est assez surprenant de voir émerger cette idée. Les grands stratèges planétaires y réfléchissent, les médias adorent. Il est encore difficile de dire si cette idée est géniale ou si c’est le dernier avatar de l’industrie agro-alimentaire qui recherche des nouveaux profits.
Les insectes dans nos assiettes, c’est un peu comme le gaz de schiste, c’est probablement possible et techniquement réaliste, mais en a-t-on vraiment besoin ? Ne faut-il pas plutôt revoir les bases de l’alimentation, la répartition et les modes de production agricole, sans parler de nos modèles démographiques ?
Une assurance pour l’avenir
En conclusion il devient évident que préserver et optimiser la biodiversité, y compris celle des insectes, reste l’une de nos meilleures assurances pour l’avenir, pour le maintien du fonctionnement des écosystèmes, des services écosystémiques associés et des ressources agricoles. L’objectif est d’appliquer des solutions trouvées auprès des insectes en s’inspirant de celles sélectionnées par eux depuis leur émergence sur notre planète et de la nature en général. A tous les niveaux d’organisation, des écosystèmes aux molécules.
S’intéresser à la biodiversité des insectes nous permettra aussi d’en savoir plus sur les milieux naturels terrestres et aquatiques, et notamment marins, car il y a aussi des insectes marins, à travers des démarches de bioindication. Ou encore, d’utiliser ce que l’on appelle l’entomologie forensique pour résoudre des crimes. N’oublions non plus le formidable réservoir de molécules potentiellement utiles que le métabolisme des insectes fabrique tous les jours (et qui sont pistées par les sociétés pharmaceutiques).
Tous ces aspects concourent à ce que nous regardions différemment les insectes aujourd’hui, et à travers eux, la Nature entière. C’est une nouvelle éthique de la Nature qu’il faut mettre en place. Certains ont évoqué un « ré-ensauvagement du monde ».
Il n’est pas certain que la Loi Biodiversité le permette vraiment. Il y a des avancées et des tergiversations, des compromis. Et le défi correspondant à ces approches dans les pays émergents ou peu industrialisés est immense, face à un économicisme toujours plus pragmatique, impliquant l’économie des pays industrialisés qui délocalisent leurs problèmes écologiques.
Ce défi implique autant de mieux comprendre le rôle de la biodiversité des insectes dans les écosystèmes, que le regard culturel que nous portons sur eux. Et donc, de ne pas oublier l’histoire naturelle dans les formations académiques, souvent remplacée par une biologie utilitariste, souvent moléculaire et réductionniste, distanciée de la Nature et bientôt terriblement synthétique !
Romain Garrouste, Chercheur à l’Institut de Systématique, Évolution, Biodiversité UMR 7205 MNHN-CNRS-UPMC-EPHE, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) – Sorbonne Universités
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.